La Vie est mortelle texte d’Olivier Pagès
Au cours de mes recherches je suis tombé un peu par hasard sur un article écrit le 10 novembre 2003 et publié dans le monde par Olivier Pagès. Lors de la rédaction de cet article Olivier Pagès était alors conseiller de Paris (Verts) et président du Comité parisien d’éthique funéraire. Bien que publié il y a maintenant 15 ans cet article reste d’actualité en abordant le problème de notre société qui s’évertue à cacher les personnes âgées afin de les rendre invisible et ainsi nous permettre de ne pas poser notre regard sur la mort.
Article intégral
« Notre société, animée par une peur incontrôlée de l’inconnu, s’emploie chaque jour plus férocement à occulter la mort. La mort ne se dit plus, ne s’incarne plus.
On repousse « le passage hors de la vie » derrière les portes des hôpitaux, on réduit le rite funéraire au point de rendre presque invisible aux yeux des autres la tenue des obsèques, et on court vers l’illusion d’une éternelle jeunesse.
Tout ce qui nous rappelle la mort est virtualisé. On détourne le regard pour ne plus voir la mort que par la mise en abîme d’une accumulation d’images compressées de corps morts. »
L’humanité préfère vouloir le rien que de ne rien vouloir (Nietzsche).
On serait arrivé à se faire croire que la mort n’existe pas s’il n’y avait pas l’existence des vieux. Parce que la vieillesse, dans notre esprit, n’est plus que l’antichambre de la mort – nous oublions au passage qu’il n’y a pas d’âge pour mourir – les vieux ne sont plus regardés que comme « des futurs ou bientôt morts ».
Leur seule présence fait obstacle à la négation de la mort. Ce n’est pas un hasard si aucune politique publique sérieuse depuis l’après-guerre n’a été menée envers les personnes âgées et que socialement une culpabilité silencieuse s’est installée dans notre quotidien envers eux.
Cacher les vieux est devenu un enjeu majeur de notre société. L’objectif (inconscient !) est de les rendre invisibles par un mécanisme d’exclusion et, par là même, l’instauration d’un racisme de l’âge.
En ne leur permettant pas d’exercer leur citoyenneté et de participer à la vie de la cité, on les pousse efficacement à l’isolement, au confinement et à la transparence.
C’est aussi pour cette raison que j’accompagne de nombreuses personnes dans l’écriture de leur cérémonie de funérailles. Pour que leurs souhaits soient respectés même après leur départ (pour en savoir plus cliquez ici).
On les met dans des maisons dites « de retraite », on les « maintient » à domicile, si possible absents d’une vie citoyenne forte… On parvient ainsi à ne plus penser aux vieux qu’exceptionnellement : malgré nous quand ils meurent de la canicule, ou délibérément par la mise en scène humanitariste du vieux-mort-vivant.
La société se donne bonne conscience en s’injectant en continu des débats-spectacles sur le « maintien à la vie » par « l’éthique généralisée » (de la bioéthique à l’euthanasie spectacle).
Ce mécanisme de détournement fonctionne si bien que de « futurs morts », les vieux deviennent à présent des « déjà morts », puisque sans plus aucune existence sociale, culturelle et politique.
Nous tuons (symboliquement) les vieux par peur de la mort. Si j’ose le dire crûment, c’est pour qu’on prenne conscience de l’étendu du drame que vivent aujourd’hui les personnes âgées et qu’il est profondément lié à la « disparition » de la mort par la mise en abîme de la vie à la vie.
Il est plus qu’urgent aujourd’hui, si nous voulons que la vie retrouve du sens, de repenser notre rapport à la mort et à la vie dans une perspective éthique, une éthique des singularités qui replace l’individu dans une commune humanité.
Redonner du sens à nos vies, c’est poser un regard sur le sens de la mort.
La vie est mortelle. »
Pour aller plus loin :
Si vous souhaitez en savoir plus les cérémonies laïques que je propose : cliquez ici
Si vous êtes à la recherche de citations pour l’écriture d’un discours : cliquez ici
0 Comments